L’Inspecteur Columbo : 50 ans déjà
Ce sont deux amis. William Link et Richard Levinson travaillent pour la radio et se mettent à écrire des scénarios pour la télévision. Nous sommes en 1960. Ils inventent un personnage d’inspecteur pour une dramatique unitaire.
Un personnage qui va devenir bigrement intéressant, même dans un domaine pour lequel il n’est pas a priori vraiment taillé : votre marketing. Vous ne feriez pas a priori appel à l’Agence Monsieur et Madame Columbo ?
Vous avez tort. Ne soyez donc pas si snob.
L’inspecteur Fisher qu’inventent alors les deux auteurs s’inspire, paraît-il, de Charles Vanel dans Les Diaboliques de Georges-Henri Clouzot.
Au dernier moment, ils décident de changer son nom. Fisher devient Columbo.
Quelques années plus tard, Universal cherche des idées de séries pour la télévision. Ils ressortent ce personnage pour en faire un héros récurrent.
Universal pense à Peter Falk pour le rôle, mais les deux scénaristes n’en veulent pas.
William Link raconte ici leurs hésitations lors du casting de Columbo. Et leur regret rétrospectif d’avoir hésité.
Finalement, Peter Falk aura le rôle et ce sera le succès. Un très grand succès.
Les seuls chiffres en France laissent rêveurs.
En 2017, à 49 ans donc, âge canonique pour une série, celle-ci rassemblait encore en moyenne 1 million de téléspectateurs en prime time le mercredi et le samedi soir sur TMC, avec un record à 1,4 million !
La série se payait même le luxe d’augmenter sa part d’audience chez ceux qui n’étaient pas nés en 1968 : de 2,2 % sur les 25-49 ans le mercredi et de 0,6 % le samedi.
Son record a été sur TF1 en 1993 avec 14 millions de téléspectateurs !
La série est devenue culte, chacun de ses 69 épisodes a été analysé à la loupe, comme le prouve ce petit recueil de faits marquants publié par Libération à propos de l’inspecteur Columbo.
Un succès de storytelling.
Ce succès est principalement dû à un storytelling particulièrement original.
Dans sa chronique « Capture d’écrans » du 26 novembre 2018, Dorothée Barba consacre un gros plan à Columbo. Et ce, à l’occasion du zoom anniversaire que met sur la série la chaîne TV Breizh.
La chroniqueuse de France-Inter résume magistralement les facteurs-clés de succès de la série. Ces inventions géniales de scénaristes qui n’ont pas eu peur d’aller à contre-courant de ce qu’il fallait faire alors à Hollywood.
L’énigme inversée
Le premier d’entre eux est le fait de choisir l’énigme inversée. C’est un pari très risqué, pour une série policière.
A priori, tout repose dans un film policier sur la question : « qui est le meurtrier ? » C’est cela qui crée le suspense, l’attention.
Les grands auteurs de roman policier, tels qu’Agatha Christie, ont tous révélé leur talent sur cette seule question.
Avec Columbo, ce n’est plus le sujet. On connait le coupable dès le début de chaque épisode.
La question que doit se poser le téléspectateur devient donc « Comment Columbo va-t-il faire pour confondre le meurtrier ? »
On reste dans un type de roman policier très « agathachristien », si j’ose écrire, il s’agit de résoudre une énigme « intellectuelle » et non pas de se bagarrer à coups de flingues et d’effets spéciaux.
Mais l’exercice ne se limite pas à un pur jeu d’intelligence, comme chez Agatha Christie. Il s’agit aussi et d’abord d’un jeu social.
Un héros digne de Bourdieu
Les deux auteurs ont inventé là un personnage digne de Pierre Bourdieu. Ce sociologue démontrait dans les mêmes années 60 que la lutte des classes, l’oppression des pauvres par les riches, se faisait d’abord par les codes de ce que l’on appelle … la distinction.
C’est parce que les riches imposent un comportement « distingué » et c’est parcequ’ils l’imposent comme quelque chose de naturel, évident, que tout ce qui s’en éloigne est voué à perdre la partie.
Sauf avec Columbo. Ce héros fait systématiquement triompher les codes opposés à ceux de la distinction. Avec lui, ce qui gagne, c’est le comportement du Français moyen, avec une femme, un chien et une vieille voiture.
Notez que j’écris à tort Français moyen puisque la série est américaine. Mais ai-je aussi tort que cela quand la vieille voiture en question est … une 403 ?
Bref. L’énigme inversée fonctionne parce que tout au long du processus pour confondre le coupable, les bourdes du « non-distingué » s’accumulent à la colonne débit de Columbo. Et le plaisir du spectateur est inversement proportionnel au montant de ce débit lorsque l’inspecteur inverse la situation à la fin.
Appliquez la technique de l’énigme inversée de l’inspecteur Columbo à votre marketing
Comment s’appuyer sur l’énigme inversée dans votre propre storytelling ?
Tout simplement en annonçant le bénéfice au plus vite. Tout comme on sait chez Columbo tout de suite qui est le meurtrier. Votre lecteur doit savoir tout de suite ce qu’il a gagner à prêter attention à votre contenu.
En installant au plus tôt dans votre contenu (vidéo, texte, emailing, …) la proposition de valeur que vous faites. (J’ai détaillé cette notion de proposition de valeur par l’exemple dans ce podcast, à écouter absolument pour comprendre ce dont je parle ici).
Attention. Je parle bien de la proposition de valeur du contenu lui-même.
Pas forcément de celle du produit ou du service que vous vendez.
Vous devez décrire ou laisser deviner très vite quel type de « secret des secrets » vous allez délivrer à votre lecteur ou à votre ‘auditeur en échange de son attention.
Il a quelque chose à gagner.
Attention : adaptez cette proposition de valeur à ce qu’attend votre client au moment où il vous lit. Il n’attend pas la même chose selon l’étape du parcours d’achat où il se trouve. Et surtout, il n’en est pas forcément déjà à vouloir acheter.
Et d’autre part, vous devez vous poser la question de ce qu’est chez vous « l’inversion » dont se sert Columbo pour entretenir le suspense. Lui inverse les règles du jeu de la « distinction ». Qu’inversez-vous pour produire le suspense, l’attention ?
La preuve par le poulpe
Exemple : supposons que vous dirigez un restaurant de poissons.
Pour faire venir plus de clients, vous avez imaginé une proposition de valeur associée à votre « produit ».
Vous savez que le problème de vos clients, c’est de convaincre leurs enfants de venir manger du poisson. Votre idée, c’est donc de proposer une « salade poulpe pour papa et maman et un cadeau poulpe (photo ci-dessous) offert dans le menu enfants« .
Dans cet exemple, les tentacules en caoutchouc offertes aux enfants sont « la proposition de valeur » liée au menu enfants, au produit.
C’est la technique qui a fait exploser le business de Mac Donald’s quand l’entreprise, en 1976, a décidé d’offrir un cadeau pour chaque menu enfant.
Mais attention, ce ne doit pas forcément pour autant être votre proposition de valeur « contenu ».
Si vous vous contentez de dire sur votre site internet « pour chaque menu enfant acheté, une tentacule offerte », c’est un peu mou. Il n’y a aucun storytelling. Vous n’apportez que très peu de valeur.
Vous affichez certes un petit truc qui fait la différence. Mais vous ne racontez aucune histoire. Sauf celle d’une promo à l’ancienne un peu poussive.
Si vous rédigez sur votre site internet un article avec ce titre : « Ce soir, après le dîner, vous aurez découvert comment les enfants peuvent se mettre à adorer poulpe », vous annoncez une vraie proposition de valeur de contenu !
L’histoire que vous suggérez est celle du phénomène miraculeux grâce auquel vous allez réconcilier les enfants avec ce qu’il y a pour eux de plus rebutant à manger : du poulpe.
Si vous enchaînez avec une vidéo, titrée : « pourquoi nous avons peur des pieuvres et des poulpes… », vous installez un ennemi : la peur. Et vous amorcez un processus à inverser : celui qui va transformer le dégoût en son contraire.
Vous racontez soudain une vraie histoire, celle d’un phénomène dont le lecteur va être lui-même le héros.
Il devient un héro capable de faire lutter ses propres enfants contre ce qui les rebute a priori. Il va obtenir une victoire sur les peurs enfantines. C’est un dîner qui prend quasiment la valeur d’une séance chez le psy.
Vous donnez rendez-vous à votre lecteur d’abord à la fin de l’article (une fois l’article fini, il aura compris ce qu’il en est de la fascination-répulsion du poulpe, des pieuvres pour les enfants), et ensuite au restaurant.
Une fois sur place, en effet, cette histoire de cadeau tentacules, si elle est bien mise en scène deviendra une expérience intéressante qui agira comme la révélation finale de l’histoire.
Comme dans Columbo, vous aurez d’abord annoncé le secret des secrets : « on peut faire aimer le poulpe aux enfants, grâce à un jouet » et vous aurez peu à peu fait avancer votre lecteur avec vos différents contenus.
Il se sera emparé de ce défi pour ses propres enfants jusqu’à réussir son expérience. Vos contenus auront fait partie de l’expérience-client.
L’inversion d’une loi sociale.
L’autre facteur-clé de succès de Columbo que vous pouvez appliquer à votre storytelling : il inverse une loi sociale.
En l’occurrence : « l’habit fait le moine ».
Qui ne sait pas qu‘il faut bien s’habiller, que l’on juge la rigueur des gens à la façon dont ils cirent leurs chaussures, que la première impression est toujours la bonne puisqu’il n’y a qu’une seule occasion de faire une bonne première impression ?
Tout le monde sait cela et se plie à ces règles… sauf Columbo !
Quelle première impression fait le lieutenant Columbo à tous les riches et puissants qu’il côtoie. Celui d’un crétin mal habillé.
Or son imper négligé n’est qu’une arme redoutable derrière il cache son intelligence brillante. Chaque feuilleton agit comme une démonstration que non, justement, « l’habit ne fait pas le moine ».
« Finalement, ce personnage nous rappelle que l’impression qu’on donne n’est pas notre nature profonde. C’est sans doute pour ça qu’il plait autant. Derrière un imperméable défraîchi, le lieutenant cache une grande intelligence. Preuve qu’on a tous en nous des ressources insoupçonnées ! ». Voilà ce qu’écrit Dorothée Barba à propos de Columbo.
Comment ne pas avoir envie de se projeter dans un tel héros ?
Comment appliquer cette technique ?
Comment appliquer cette technique de l’inversion d’une loi sociale pour votre marketing ?
Prenons une loi d’airain de la vie sociale : « Il faut travailler dur pour réussir ».
Sur leur blog, les éditeur d’outils du manager qui vendent des outils, de la formation en ligne et du coaching, se sont attaqués, dans un de leurs articles à cette loi qui connaît tant de succès.
Pas un seul discours de Trump qui ne fasse référence à cette loi, pas une seule journée sans que ses imitateurs dans de nombreux partis européens ne fassent pareil.
Bref. La loi du monde, c’est « travaille dur d’abord et quand tu auras réussi, tu prendras la parole ».
Je cite le début de leur article :
« Oui. Il faut travailler dur pour réussir. C’est un véritable avantage concurrentiel dans l’entreprise que de savoir travailler dur.
Je sais que ma réponse va étonner, car je préconise d’avoir une vie équilibrée et je ne suis pas favorable aux heures interminables au bureau.Le tout est de ne pas confondre travailler « dur » et travailler « longtemps ». «
Inversion -révélation
Génial ! Les auteurs inversent le propos en transformant la loi « travailler dur » en loi « travailler dur ne veut pas dire travailler longtemps ».
Sous-entendu : « ce qui compte, c’est d’abord de travailler malin ».
A partir de là, tout le monde a envie de devenir plus « malin » et chacun se projette dans l’histoire qu’ils vont raconter, jusqu’à étudier de près combien coûte leur formation ou leur coaching.
Ils ont inversé ou tout au moins transformé la loi difficile à laquelle il faut se plier pour en faire quelque chose qui donne envie, qui motive.
En lisant les deux premières lignes de l’article, on a gagné sa journée. On a appris quelque chose qui change notre vision des choses.
Ah ! Une dernière question, comme dirait Columbo : « Est-ce que c’est grave d’avoir un chien qui n’a pas de nom ? «
Dans la vie courante, tout le monde vous dira : « Oh ben oui, un chien ça doit avoir un nom. La chose la plus importante quand on achète un chien, c’est de lui donner un nom ».
Columbo répond, plein de bon sens : « De toute façon, quand on l’appelle, il ne vient pas. »
C’est une autre excellente technique pour entretenir la conversation. Celui qui ose casser des codes aussi installés sait forcément aller à l’essentiel. On a envie d’en savoir plus.
PETIT RAPPEL : LE HEROS, C’EST LE CLIENT
Point essentiel. Quel est l’intérêt de recourir au storytelling pour votre entreprise ou vos produits ?
Contrairement à ce que racontent de nombreux « storytellers » ou agences de publicité, je ne crois pas que la mission du storytelling soit de transformer votre entreprise ou votre marque, voire votre big boss en héros.
Sur internet, cela me paraît même extrêmement dangereux. La posture du héros est la plus difficile à tenir pour une entreprise. Avez-vous vraiment les moyens de jouer à Zorro ou à Superman tous les jours ?
Et vous imaginez, si vous deviez devenir, en plus, Columbo ?
Mal rasé, avec un imper douteux, un chien qui n’a même pas de nom et l’art de poser une dernière question agaçante ?
Vous vous imaginez une image de marque comme celle-ci ? N’est pas Peter Falk qui veut.
Non. Ma recommandation est en général de ne pas se choisir soi-même comme le héros de l’histoire.
Dans cette vidéo, je prends l’exemple d’Intermarché qui nous montre la voie à suivre.
Le vrai héros, c’est le client.
L’entreprise adopte une place bien plus efficace quand elle se glisse dans le rôle de l’allié.
Le potentiel narratif devient bien supérieur.
L’enjeu de l’opération, c’est-à-dire d’avoir une véritable réflexion sur votre storytelling, c’est de construire une « machine à produire des idées ».
Les idées ne viennent pas toutes seules. Elle ne naissent pas seulement de l’esprit de gens qui seraient plus « créatifs » que les autres.
Même si de tels individus existent, vous ne pouvez vous permettre d’avoir un business qui dépend de leur « créativité ».
Voilà pourquoi vous avez besoin d’un système. C’est la construction de ce système, de cette machine à produire des idées de contenus que nous proposons à l’Institut dans nos prestations de storytelling.
Si vous voulez savoir à quoi pourrait ressembler votre propre système, c’est ici.