[…] Dans ce tutoriel webmarketing : gros plan sur la scène de la péniche, lors de la discussion avec Madame Mado/ C’est une leçon de l’art de définir ses buyer personas / Une leçon magistrale d’avant les ravages du marketing des années 70 / Ce qu’il faut faire / Et surtout : ce qu’il ne faut pas faire […]
Buyer Personas : comment Audiard peut vous éviter l’erreur du marketing à l’ancienne
Oui, Michel Audiard soi-même. L’un des meilleurs raconteurs d’histoires des années 60.
Audiard peut vous éviter les erreurs fatales que le marketing des années 70 fait commettre aux webmarketeurs modernes. Comment ?
Tout se trouve dans les quelques secondes d’une scène d’anthologie.
A la fin de cet article, cette scène vous aura fait comprendre ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’on se livre à l’exercice des Buyer Personas.
Une scène de quelques secondes des années 60 qui agit comme un des meilleurs tuto webmarketing des années 2010 ?
Eh bien oui. Remettons les choses dans leur contexte. C’était dix ans avant l’entrée en force dans les entreprises des crânes d’oeufs à lunettes cerclées issus des grandes écoles de commerce des années 70-80 (et je les critique d’autant plus volontiers que j’en faisais partie).
Audiard, avec son sens du trait juste, de la phrase qui dit tout, mettait en scène l’art du commerce comme personne. Et dressait, sans le savoir, les premiers portraits-robots de clients ou Buyer Personas.
Le mot devient connu, il est devenu une sorte de « tarte à la crème » dans le webmarketing, comme si la technique était désormais hyper-maîtrisée.
Hélas, c’est tout le problème avec lest techniques à la mode : elle ne l’est pas. Quand on va sur les blogs de nombreux spécialistes du copywriting ou du growthhacking, on lit des horreurs absolues. Des contresens parfaits.
La pire erreur qui puisse être faite, lorsqu’on travaille avec des Buyer Personas, c’est en effet de raisonner à l’ancienne, je veux dire comme dans les années 70-80. De privilégier l’identité socio-démographique sur la situation.
Alors qu’il faudrait raconter les choses comme Audiard.
Le webmarketing moderne, celui qui fonctionne vraiment, celui qui est centré sur les techniques d’hyper-croissance, nous ramène avant la grande époque « lunettes cerclées ». Il ramène à Madame Mado.
Le tuto de Madame Mado
Regardez cette scène. La fameuse scène de la péniche.
Au cas où vous ne seriez pas un spécialiste des Tontons Flingueurs, résumons les épisodes précédents.
Monsieur Fernand a été rappelé d’urgence à Paris pour reprendre les affaires de son ami Le Mexicain qui vient de mourir.
Ces affaires sont évidemment un peu spéciales (c’est un film de gangster) et, comme on dirait de nos jours, les franchisés souhaitent s’affranchir de leur franchiseur.
Mais voilà, Monsieur Fernand n’est pas du genre à laisser s’enfuir les royalties.
L’urgence est donc de ramener de l’ordre dans la gestion. Une réunion non officielle des franchisés a lieu dans une péniche. Monsieur Fernand y déboule ex abrupto… et en profite pour transformer cet instant de révolte en réunion budgétaire.
Madame Mado lui décrit alors l’état actuel du marché sur lequel elle opère
En quoi est-ce un tutoriel webmarketing ?
Analysons le texte précis de la scène.
« Les explications, Monsieur Fernand, y’en a deux. Récession et manque de main d’oeuvre.
Ce n’est pas que la clientèle boude, c’est qu’elle a l’esprit ailleurs.
Le furtif, par exemple, a complètement disparu.
– Le furtif ?
-Le client qui venait en voisin. « Bonjour Mesdemoiselles, au-revoir Madame ». Au lieu de descendre le soir après dîner, il reste devant sa télé, pour voir si par hasard, il ne serait pas un peu l’homme du XXème siècle…
Et l’affectueux du dimanche, disparu aussi. Pourquoi ? Voulez-vous me le dire ?
– Encore la télé ?
-L’auto Monsieur Fernand, l’auto… »
Il s’agit là d’un excellent travail de segmentation à la façon de ce que l’on doit faire aujourd’hui, au XXIème siècle !
Madame Mado ne décrit pas son marché avec les catégories habituelles.
Elle ne dit pas : « Le furtif, c’est un client géolocalisé à moins de 5 km. CSP – et -+. Fréquentant les médias de masse. Accessible par l’affichage dans les points de vente de proximité. »
Non, elle le dit avec l’art du scénariste, et c’est justement dans les contraintes spécifiques à l’art du scénariste que se trouve la leçon qui nous intéresse.
Le problème du scénariste
… c’est de ne conserver que ce qui est essentiel. Indispensable pour que son public imagine (et dans imaginer il y a « image »).
Lorsqu’il décrit un portrait-robot, dans les années 60 (c’est l’objet même de cette courte réplique), il le décrit par la situation même. Il insiste sur l’attitude, le comportement, les mots utilisés .
Il n’oublie pas qu’une seule phrase (« Bonsoir Mesdemoiselles, au-revoir Madame ») suffit à décrire ce que l’on appelle en 2018 « le problème » du client (ici, en l’occurrence être conseillé par la mère maquerelle, sans quoi il n’est pas sûr de ressortir satisfait) .
Ce client n’est pas décrit pas par son « identité » socio-démographique, définie par les grandes catégories partagées par tous les marketeurs : localisation, CSP, sexe, etc.
Audiard ne dit pas : « le furtif, ce client plus ou moins fauché, habitant les grandes villes, où il se promène encore à pied à un kilomètre à la ronde. »
Non. Il le décrit par l’image concrète de ce que lui fait faire (ou pas faire) son problème.
Et non par l’image plus floue de ce que lui fait faire son identité.
Résultat : son buyer persona devient limpide.
C’est un personnage en plein changement. Il habite à côté, certes, il est poli, respectueux, … Mais peu à peu, il abandonne ses habitudes de promenade pour rester devant la télévision.
Sa motivation ? Son problème des problèmes : trouver vers quoi diriger sa libido du moment, alors que le monde en plein changement décrit par la télévision lui offre quantité de propositions.
(N.B. rappelons à l’attention de tous ceux qui ont oublié les textes du Dr Freud que la libido n’est pas forcément sexuelle, il s’agit d’une sorte de « force désirante » qui va choisir de se fixer quelque part).
Comment aurait fait Madame Mado dans les années 70-80
Supposons que Monsieur Fernand veuille remettre de l’ordre dans ses affaires avec les méthodes marketing des années 80.
Qu’aurait-il fait ?
Il aurait fait des études de motivation qualitatives, aurait découvert précisément ce que nous disions là : la libido des clients dispose désormais de trop de sollicitations autres.
Il en aurait déduit une stratégie classique : « nous devons les conduire à nouveau vers nos offres. » Comment ?
Si Monsieur Fernand m’avait confié le poste de conseiller crâne d’oeuf auprès de Madame Mado dans ces années-là, je lui aurais sûrement dit qu’il fallait considérer les constructeurs automobiles comme nos véritables concurrents.
Et j’aurais suggéré que, face à eux qui ne cessaient dans leur publicité de suggérer des promesses du type « une auto achetée, un pin-up offerte », nous devrions faire le contraire.
Et puisqu’il s’agissait de clientèle de proximité, le mieux était sans doute d’insérer dans la presse gratuite du quartier des annonces du genre « Un bon moment passé- Une Majorette offerte » (Majorette étant, je le rappelle, la marque fétiche des amateurs de voitures miniatures de l’époque).
Madame Mado, dans les tontons flingueurs, utilisait déjà cette technique du webmarketing (tuto : le webmarketing selon Audiard).
Comment ferait Madame Mado aujourd’hui
En 2018, Madame Mado se retrouverait exactement dans la même situation. Les furtifs et les affectueux de 2018 se demanderaient sans doute s’ils ne seraient pas un peu les hommes du XXIème siècle, les yeux vissés sur leur smartphone et connectés à la terre entière au lieu de regarder ce qui se passe dans leur quartier.
En revanche, la presse gratuite et le rêve automobile ne seraient plus d’aucun effet. La preuve : Majorette a disparu.
C’est là que le travail sur les Buyer Personas, façon Audiard, montrerait en revanche toute son efficacité.
En analysant comment la motivation (véritable moteur d’action) se transforme en intention, le travail sur le Buyer Persona permet de dresser un portrait robot vraiment utile.
L’étape suivante consiste à rechercher toutes les façons dont ce portrait-robot exprimera ces différentes intentions sur les moteurs de recherche pour identifier les mots-clés qui permettront de le rencontrer et, lors de cette rencontre, de lui apporter la réponse à cette intention.
Il ne s’agit pas forcément de considérer que le moteur de recherche est l’alpha et l’oméga de toutes les démarches clients. Non, pas du tout.
Il s’agit juste d’utiliser le moteur de recherche comme outil d’étude de marché. En analysant comment les gens expriment les choses, on perçoit mieux leurs intentions, leurs attentes.
En clair, Madame Mado pourrait trouver dans ces 7 raisons de faire l’exercice que avons résumées dans ce slideshare, toujours d’actualité, des raisons pertinentes pour son activité.
Faire parler Audiard
Certes, il y a, dans cet exercice consistant à faire parler Audiard quelque chose d’un peu forcé, puisque l’époque a changé et que le scénariste n’écrirait sans doute pas les mêmes répliques aujourd’hui. Cependant, il serait confronté aux mêmes contraintes de raccourci qui dit tout.
Et si je m’y suis livré à , c’est que, précisément cet art du raccourci est très utile dans la technique du portrait-robot.
S’appuyer sur le verbatim est vraiment très intéressant, quand c’est possible. Quel est l’équivalent du subtil « Bonjour Mesdemoiselles, au-revoir Madame » dans votre domaine d’activité à vous ? Le connaissez-vous ? Non ? Alors cherchez encore.
Résumer le problème du client à une phrase peut être extrêmement efficace. Quel et l’équivalent du « pour voir s’il ne serait pas un peu l’homme du XXème siècle pour vous ? Vous ne savez pas ? Essayez encore.
Tout le monde n’est pas Audiard, je sais, mais tout le monde peut s’en inspirer.
Lorsque l’on parvient à ces raccourcis synthétiques, alors on peut ensuite « vivre avec ses Buyer Personas » dans la durée.
On peut en parler en réunion, les convoquer à tout instant. Et ceci est extrêmement important.
Les Buyer Personas ne sont pas juste des rapports que l’on met sur un papier. Ce sont des personnages dont on doit s’emparer dans l’entreprise, que l’on doit réussir à faire vivre, à faire évoluer. Bref. Que l’on doit scénariser.
Notez que l’on vit avec les personas de Madame Mado … 50 ans après le film. On les imagine, on les voit toujours ces furtifs et ces affectueux du dimanche.
Alors qu’ils ont été brossés en…. 64 mots, précisément. J’ai compté.
Dans la mouise
Enfin, si je me suis livré à cet exercice, c’est aussi grâce à Guillaume Déderen. Cet énarque, sous-préfet, maître des requêtes en service extraordinaire au Conseil d’Etat … est passionné par Audiard.
Tellement passionné que j’ai l’impression qu’il en a été pour lui comme pour Jean : « La vocation lui est venue, le style aussi. La sagesse aussi ».
Au point qu’il vient de lui dédier un livre consacré à la façon de gérer des crises et destiné aux managers dans la mouise. En mêlant sa propre expérience des crises avec les raccourcis saisissant d’Audiard, il en a tiré un livre savoureux.
Et à propos de mouise, la phrase la plus importante d’Audiard face aux problèmes de croissance des entreprises d’aujourd’hui est à mon sens, précisément, la grande phrase de Madame Mado : « ce n’est pas que la clientèle boude, c’est qu’elle a l’esprit ailleurs ».
Vous êtes bien d’accord ? Vous aussi, vous vous demandez où votre clientèle a donc l’esprit, alors cliquez ici, on va répondre en suivant la bonne méthode.
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